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Le Cloître.

 

Le sourire spirituel

En me prenant la main, elle me convint que l'endroit où elle m'entraînait me plairait. Que c'était précisément l'endroit où elle se rendait chaque fois que la vie n'apportait plus de réponse aux questions de l'esprit qu'elle se posait. Arrivée sur la place du village où une fontaine moyenâgeuse trônait toujours en signe ostentatoire de l'histoire du passé, elle se dirigea vers l'église qui se trouvait à ses abords, marquant ainsi l'emplacement du parvis. Moi, je la suivais, guidé par l'inconnu.

Poussant la porte, tandis que je me laissais volontairement entraîner par sa curiosité, nous aperçûmes aussitôt le passage situé en fond de l'édifice, éclairé par la lumière du jour. Elle en connaissait l'accès et savait ce que l'on découvrirait derrière. En refermant la porte presbytérienne derrière nous, le contraste flagrant qui régnait dans l'église s'accentua et laissa la lumière révéler ses différentes couleurs que l’œil ne peut deviner, sans en connaître l'existence. En franchissant le seuil qui séparait l'église du lieu où nous nous trouvions maintenant, la clarté nous éblouit, laissant la pénombre derrière nous, comme signe de l'ignorance franchissant les portes du savoir. La Caverne de Platon, expliquée dans le livre 7 de « La République » était ici évident pour tout être ayant eu accès au texte. C'était la définition faite par le disciple de Socrate, sur l'état du monde plongé dans l'ignorence continuelle ; notre société en était revenue à ce point culminant de la stagnation humaine face à tous les problèmes qui se dressaient devant elle. Et personne ne pouvait intervenir pour la sauver.


Le cloître imposait de lui-même, ne fût-ce que par son architecture minutieusement constituée de symboles religieux, un silence qu'il était inutile d'exiger de la part des éventuels visiteurs qui se seraient égarés par ici. Il n'y avait, en effet, pas lieu de chuchoter ou susurrer quelques onomatopées ou interjections pour dépeindre ou bien commenter la beauté épurée de la présente architecture. Il était évident qu'elle fut érigée dans les règles mystiques de la spiritualité réservée aux grands initiés. Ils étaient au nombre de sept ; je les connaissais tous pour les avoir suffisamment côtoyés. Et ils formaient encore cet entourage privé que j'avais formé sur leur conseil !

 

Elle délaça nos doigts qu'elle avait intentionnellement entremêles, pour se diriger seule vers le crucifix qui se dressait contre le mur le long du déambulatoire ; un buste de femme coiffée d'un voile se tenait debout auprès du maître essénien. L’Église l'avait représenté cloué sur une croix de torture, afin de signifier au monde la souffrance du sauveur. Le tableau représentant la scène inspirait le pathétisme ressenti dans des œuvres picturales d'artistes appartenant aux écoles classiques de l'Europe de la Renaissance : Botticelli, le Caravage notamment ; puisque c'était les peintres qui m'insufflèrent l'art de la description dans l'étude de la littérature pour le premier et la sensibilisation de l'ombre et la lumière en photographie, pour le second.

C'est à partir de ce moment qu'elle commença une sorte de rituel auquel j'étais convié à titre de disciple dévolu à sa féminité. Elle s'asseyait au pied de chaque colonne surmontée d'un chapiteau orné de motifs bibliques. Prenant sa tête dans les mains, elle l'inclinait vers le sol, en fermant les yeux et priant à voix basse, psalmodiant quelques versets choisis dans l'Ancien testament ; elle les connaissait par coeur. Elle fit cela autant de fois qu'il y avait de colonnes. Nous n'étions que tous les deux, comme si le temps avait favorablement libéré l'endroit de toute intrusion humaine, nous livrant de facto ces instants de spiritualité, uniquement voués à la communion dans l'amour. Il s'agissait de l'amour de soi ! et non des autres, comme l'aurait voulu la religion ! Les autres étaient responsables d'eux-mêmes !

Lorsque sa procession mystique prit fin, elle s’assit auprès de moi qui n'avais pas bougé de la place assignée que j'occupais depuis le commencement de ses gestes rythmés, de sa danse rituelle. Elle posa sa tête sur mon épaule, voulut que je l'étreignisse et que je l'enlaçasse affectueusement comme si elle avait enfin obtenu la réponse aux multiples questions posées à sa Pythie. Après un silence de vérité, elle prit ma tête dans ses mains, déposa un suave baiser sur mes lèvres, en s'attardant langoureusement sur elles, redonnant à mon souffle l'élan de vie qu'il avait perdu. Puis, elle se mit à me parler, d'abord de l'univers, ensuite du monde et enfin de nous où j'étais devenu le centre d'intérêt de sa vie personnelle.

 

« Je suis venue ici avec toi pour recevoir la vérité sur nous deux, m'expliqua-t-elle. Je voulais savoir si c'était toi que j'allais aimer sans risque d'inconséquence. Je voulais savoir si tu étais réellement celui que j'attendais, un peu comme toute ces femmes qui espèrent rencontrer un prince venant les arracher à la morne quotidienneté de l'existence puérile qu'elle vivent et subissent. »

« Et, est-ce donc bien moi que ton choix à voulu ? Dis-je. »

« Oui ! Maintenant, je sais que c'est toi ! Les signes de l'intemporel me l'ont confirmé ! »

 

Elle tenait à mémoriser cet instant en prenant une photographie de moi posant contre les colonnes du cloître. Je pris place maladroitement en esquissant un frêle sourire, pour lui montrer que je croyais en elle.

L'atmosphère dégageait une espèce de quiétude comme il en existe, lorsque la vie nous devient significative en la vivant à deux et enfin à trois.

En repartant vers une nouvelle destination qui semblait nous être dévolue par le sort, alors que nous cheminions sans mot dire, les doigts entrelacés, elle ressentit monter en moi une espèce de nostalgie mêlée de remords où tout mon être paraissait enfermer, à nouveau. Je redoutais cette  vie de couple, comme la perte de ma grande liberté conquise, elle, avec un grand amour pour Moi, incommensurable, que personne n'aurait jamais pu m'apporter... Et plus je la sentais pénétrer dans ma vie, plus j'avais les sentiments de la peur m'envahir ! Et déjà, je regrettais mon euphorique Solitude...

                                            Jean Canal