La vie en soliloque.
C'était une femme de quarante ans, seule, triste et parlant peu. Elle venait chaque jour, sauf le dimanche, au jardin Déodat de Séverac, situé sur l'espace occupé par le Grand Rond, à
Toulouse. Elle s'asseyait régulièrement sur le banc en vis-à-vis de la statue de Déodat de Séverac. C'était une figure sculptée par Seysses en hommage au compositeur qui avait aimé ce jardin où
il venait se promener.
La jeune femme ne parlait à personne et restait là longtemps à regarder la sculpture comme si elle attendait qu'elle se manifestât !
Même par temps de froid en hiver, où les jardins sont désertés par les toulousains, elle venait attendre un rendez-vous perdu, à jamais. Celui qu'elle avait aimé ne viendra plus ! Il était parti avec une autre. C'était commun comme histoire d'amour : elle l'aimait à la folie ; lui il avait abusé de sa beauté, au cours de sa jeunesse assouvissant ses envies sexuelles. Il ne l'avait considéré que sur un point particulier, sa beauté ! Ne prenant jamais en compte sa sensibilité, il se complaisait à vivre avec elle, en solitaire.
Malgré cette attitude dont elle avait cerné toute l'intériorité du fond qui constituait son être, elle ne parvenait pas à se remettre de son départ. Elle souffrait d'un mal langoureux qui la consumait, comme une maladie incurable. Restant figée-là, dans une pose statique proche de la sculpture qu'elle admirait, il arrivait que les passants la prissent pour telle.
Des mois entiers passèrent sans qu'une quelconque réaction ne vînt changer son attitude. Elle était enfermée dans une espèce de psychose, prisonnière des sentiments de passion qu'elle lui vouait toujours. Elle ne se maîtrisait plus, se laissait guider pas on ne sut trop quel destin étrange qui semblait la sacrifier sur l'autel de l'amour.
Quelques ébauches de relations sexuelles oniriques avaient, cependant, momentanément apaisé ses désirs féminins qu'elle assouvissait, comme toutes les femmes, par des masturbations. C'était plus particulièrement le matin qu'elle pratiquait cet acte sensuel, lorsque le sommeil la quittait laissant la place aux phantasmes. S'imaginant en des scènes amoureuses où elle était prise en de multiples positions, elle parvenait à s'épanouir ainsi ; ne voulant plus connaître de plaisir avec les hommes. Tandis que le soir, tard, lorsque le sommeil la guettait, elle préférait s'endormir paisiblement, en songeant à celui qu'elle aimait qu'elle retrouvait systématiquement dès les premiers balbutiements de cils.
Elle avait donc vieilli. D'une vie faite de rêves itératifs, de phantasmes extraordinaires construits à partir d'un simple fragment de sa vie romancée selon ses désirs.
Elle incarnait un soliloque dans toutes les formes d'attitudes adoptées naturellement. Bien sûr, elle réglait de courtois rapports avec son voisinage ayant assouvi sa curiosité épuisée par la force de vie qui la caractérisait.
« Mais un être ne peut vivre éternellement seul , vous savez, » lui avez dit une vieille dame, pleine de compassion à son égard !
« Les êtres sont faits pour vivre à deux ! Personne ne peut vivre seul ; même les moines ne sont pas seuls », continua la dame attristée par la condition de sa voisine.
« Il n'est jamais trop tard pour refaire sa vie. L'âge ne compte pas, quand il y a l'amour », termina-t-elle.
« Quand il y a l'amour, oui ! » Se disait-elle à elle-même, close dans un mutisme mortel, relevant de la folie !
« Mais quand il n'y a que du sexe ; alors autant se le faire soi-même, pour apaiser ses humeurs et choisir dans ses rêves l'être que l'on veut aimer. »
Jean Canal