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A Pompeia Primillia.

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Le songe : "Alea jacta est."

Nous étions aux derniers jours de l'automne, avant l'arrivée du grand froid de l'hiver. Le temps était encore doux pour la saison et les journées clémentes de ce mois de novembre agrémentaient les promenades que j'entreprenais le long de la rivière, chaque matin, en penseur solitaire. Nous étions en Ariège, sur les terres du Couserans ; le pays de mes ancêtres. Là, où mes aïeux avaient vécu durant des siècles en contribuant à développer ce pays qui était toujours le mien ! Saint-Girons formait un gros bourg qui, néanmoins, avait su préserver des proportions d'urbanisme relatives à l'échelle humaine. Ainsi, on y croisait régulièrement des visages identiques, souvent plusieurs fois par jour, de sorte qu'on finissait par reconnaître l'identité de chacun, tout en sauvegardant de l'indiscrétion l'anonymat de tous ; de ce fait personne n'enfreignait les règles de vie privée d'autrui. Les cafés principaux qui attiraient une clientèle d'habitués, étaient fréquentés par des gens de notoriété publique, s'étant attribués ces lieux sur des critères personnels fondés par l'appartenance sociale, entre autres. Selon les manifestations, la clientèle se sentait concernée par la culture coutumière pratiquée : foires, fêtes locales et votives ainsi que les cérémonies officièles étaient autant d'occasions pour se retrouver autour d'un verre ou d'un café. Les commerces se résumaient à l'esssentiel, privilégiant ceux dits de bouche et de service, comme chez le droguiste ou le caviste installés depuis des décennies. La rive gauche du Salat, cette rivière typiquement ariégeoise, qui scindait la ville en deux, distinguait deux appartenances sociales : l'une ouvrière, artisanale et plutôt commerçante, l'autre regroupait l'ensemble des classes dites aisées et moyennes. La première admettait des commerces marchands en tout genre, tandis que l'autre rive avait dévellopé ceux réservés aux quartiers bourgeois. L'église, la mairie et quelques vieux commerces emblématiques de la culture couserane y étaient toujours implantés, marquant de ce fait l'origine seigneuriale du bourg dont des constructions datées du Moyen-Age. Les institutions de l'enseignement religieux et communal y étaient importantes. Ce haut lieu du Couserans n'imposait pas son architecture de manière orgueilleuse, mais valorisait son entité en menant une vie humble faite de simplicité.


Le froid jusqu'à présent n'avait point sévi, comme d'accoutumé durant ces prémices hivernaux. Bien que les monts fussent très enneigés, l'air ne dégageait point de fraicheur qui obligeât de s'appréter d'effets vestimentaux chauds. Une certaine douceur automnale, en effet, persistait dans la région, depuis la fin de l'été ; et les autochtones en jouissaient avec complaisance, sans excès cependant ; puisqu'ils appréhendaient la rigueur de l'hiver. 

Les feuilles déchues de vigueur étaient éparpillées sur le sol, tapissant maintenant l'allée du Champs de Mars où les marchands prenaient place, chaque samedi matin. Autrefois, c'était le lundi que la foire avait lieu. Tous les camelots, producteurs maraichés et éleveurs y venaient proposer leurs marchandises. De hauts platanes alignés sur quatre rangées abritaient ce vaste déambulatoire sans pour cela obstruer la lumière du jour. Les couronnes formées de branches situées à leurs sommets, maintenaient le soleil à distance l'été par son feuillage dru qui filtrait la chaleur ; tandis qu'elles le laissaient pénétrer l'hiver, dès que les feuilles étaient tombées. L'automne située juste à l'orée des deux saisons diffusait une pâle luminosité caressante qui pénétrait entre les arbres, accroissant de ce fait l'atmosphère de douceur régnant en cet endroit. De là, la perspective qui s'ouvrait à nos yeux, dessinait des champs au pied des monts à peine élevés. Enfin les montagnes qui se dressaient, en arrière plan, vers le Sud, rappelaient la présence de l'Espagne à quelques lieues, à peine ; c'est tout cela qui m'attirait et fascinait mon imagination à aller jusqu'à en écrire des histoires extraordinaires. J'avais toujours entendu dire que mes lointains aïeuls étaient partis de Massat, au XVIII° siècle pour s'installer, ici. Mais ce que je subodorais depuis longtemps, allait m'être révélé.

Là, après avoir foulé au pied les feuilles mortes au cours de ma promenade quotidienne, je m'assayais au centre d'un de ces bancs publics aménagés, à la recherche de profondes méditations qui m'eussent replongé dans ce lointain passé où je me recherchais, me projetant en des scènes historiques. C'est au cours d'une journée de semaine ordinaire qu'une femme jeune s'assit sur ce banc que je pensais occuper seul.

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"Bonjour, je ne vous dérange pas ?"

"C'est un banc public, tout le monde à le droit de s'y asseoir."

"Merci."

Un silence pesant s'installa durant quelques longues minutes ; puis la jeune femme reprit en voulant entammer la conversation.

"Je sais qui vous êtes et si je me suis assis auprès de vous c'est avec l'unique intention de vous parler."

"Comment pouvez-vous prétendre savoir qui je suis, je l'ignore moi-même. Vous voulez me parler de quoi ?!, répliquais-je, comme si l'on m'avait arraché à ma solitude."

"De vous et de ce que vous êtes venu chercher, ici."

"Et qui suis-je, exactement ; car je ne le sais pas moi-même, lui demandais-je."

"Vous avez retrouvé la sépulture de votre aïeul, n'est-ce pas ?"

"Oui ! Mais comment savez-vous ça ?!"

"Je le sais, parce que de vous rien ne m'est inconnu. Et si je suis ici, c'est pour vous expliquer certaines choses importantes qui vont vous servir."

"Ah bon !, dis-je stupéfait ! Je vous écoute, parlez !"

"Un de vos lointains ancêtres vivait dans une tour d'un château situé près de la frontière espagnole. Il possèdait terres et biens. Il écrivait des pamphlets sur la politique. C'était une personne importante. Un autre était un religieux ; un grand prélat sous l'Ancien Régime. Vous êtes issu d'un étrange mélange de sociétés cultivées, révolutionnaire et croyante. C'est ce qui fait votre ambivalence qui échappe à la plupart des gens."

"Que me dites-vous là ?"

"Je vous dis ce que je lis dans vos écrits. Je ne vous avez jamais vu auparavant, si ce n'est en songe."

"Mais, comment pouvez-vous savoir tout ça ?"

Je dois partir, maintenant. Vous ne me reverrez plus jamais, car je passe une seule fois dans l'existence des êtres que la destinée a choisis pour ramener leur vie à la raison... Alea jacte est !"

Alors que la jeune femme se levait en emboîtant le pas vers la passerelle jetée sur les deux rives, je l'interpellais :

"Dites-moi, au moins votre prénom ! Que je ne vous oublie pas ?"

"Je me nomme : Pompeia Primillia, fille de Qentus."