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Salambo

IMG (2)« C'était à Méghara, faubourg de Carthage, dans les jardins 'Hamilcar. » L'homme cita la première phrase de l’œuvre la plus critiquée par les historiens, au cours de l'histoire de la littérature du XIX° siècle, reprochant à son auteur le manque de précision dans le récit. En effet, Flaubert en avait fait une épopée romanesque dans un milieu guerrier, où l'amour souverain régnait sur les événements historiques.

« Vous permettez que je vérifie, si votre citation est exacte ? », avait dit la jeune femme, en lançant un charmant sourire à son interlocuteur.

« Faites ! Répliqua-t-il. Je ne me souviens que de ce passage et serait incapable de vous faire le récit complet de Salambo qui marqua ma jeunesse estudiantine ; car c'est à l'Université que je l'ai étudiée ; ou plutôt devrais-je dire étudiai, au passé simple ! »

La jeune femme saisit alors le livre enchâssé dans les rayons de la bibliothèque ambulante que la bouquiniste étalait, chaque vendredi matin, au marché de Auterive. Elle lut à haute voix, à son tour toute la première page.

« Vous avez tout de même une bonne mémoire, reprit la jeune femme. Mais est-ce si lointain que vous nous le dites, dans vos souvenirs ? » continua-t-elle.

« C'est plus proche que je ne le pensais, puisque en prenant le livre et vous regardant, j'eus l'envie de vous citer particulièrement ce passage que je vous dédie, comme s'il eût été écrit pour vous, pour vous seule... et par moi.

La jeune femme fut émue et s'avança vers lui en continuant la conversation.

L'homme lui proposa de prendre un café, à la terrasse ensoleillée de l'estaminet du coin, situé sur la rive gauche de l'Ariège, puisque cette rivière traverse aussi la Haute-Garonne.

« Vous faites quoi dans la vie, » lui demanda-t-elle, une fois attablés.

« Je flâne au gré de l'existence jusqu'à ce que mort s'ensuive, repartit-il, avec un sourire esquissé sur ses lèvres. »

« Vous plaisantez !, je présume. »

« Non ! La vie est trop grave pour la prendre avec légèreté. Je m'efforce de saisir au quotidien toute la quintessence que l'existence veuille bien mettre à ma disposition, à condition que je la vive avec une condescendance à son égard, comme s'il s'agissait d'une femme à qui et auxquelles, je n'ai jamais su mentir. »

« Tout le monde ment ! » Reprit-elle. Cela fait partie des règles du jeu ou bien du Je de chacun qui s'évertue de gérer au mieux des relations devenant difficiles au fil des ans ; l'usure, l'ennui et la lassitude finissent par avoir raison de l'amour. »

« Je sais ! Mon observation me le confirme, chaque jour quand j'assiste aux ruptures des couples, jetant indifféremment en pâture leurs propres enfants dont le traumatisme les tiendra distant des relations éventuelles qu'ils contracterons, par force des choses ; puisque l'être n'est pas fait pour rester seul . »

« Et vous, oui vous qui semblait parler comme un sage, un poète, oui, Vous, qui êtes vous, vraiment ? »

« Ni moi, ni autrui ne le sait, faute de se méconnaître soi-même. Les êtres sont en perpétuel changement, inscrits parfois sur les chemins de l'évolution ; mais sans trop avoir conscience de ce qu'ils ne sont pas ou veulent se faire accroire qu'ils sont et ne seront jamais. Le tout serait d'accepter notre état, en le remettant en question, au quotidien, et en s'avouant, avec humilité :

« Je me suis trompé, dans la vie. Le chemin que j'ai pris m'a conduit dans des déserts où personne ne vit jamais ; ou l'on ne rencontre que son ombre errante.

"Et vous aspirez à quoi, désormais ?" reprit la jeune femme qui venait de s'éprendre d'affection pour celui qui allait devenir son amant...

"A rien de plus naturel que d'aimer et être aimé..." 

 

  Jean Canal 24 juin 2011, 11 heures 30, à la terrasse d'un café, Auterive.

 

 Elle-en-jaune.jpg