Tristesse.
Je suis venu ici en espérant rencontrer la vie ; mais, je ne vis que le sommeil de l'Amour endormi."
Elle trouva ces mots inscrits sur la planche de bois qui lui servait de table où elle prenait ses repas, écrivait et travaillait. Il avait poussé la porte d'entrée qui donnait directement dans l'unique pièce à vivre où elle avait aménagé son lit, sa salle d'eau, sa cuisine et son salon intégré. Elle n'était pas là quand il avait franchi le seuil de ses pénates. C'est pour cette raison qu'il laissait toujours un mot de passage. Il l'avait attendue durant deux bonnes heures, mais elle n'était pas venue. Seul, il appréhendait le pire en pressentant que cette aventure était terminée. Il retrouva toute la correspondance qu'il lui avait envoyée posée sur l'étagère. Elle avait gardé toutes ses lettres et les cartes postales. Puis le téléphone sonna. Il activa l'appel du portable et entendit sa voix :
"J'ai reçu ton appel, mais j'étais en plein chamboulement. Tes courriers m'ont énormément perturbée. Je ne peux y faire face. Trop fragile, je ne peux vivre cette vie que tu me proposes. Je ne t'aime pas assez ; voilà, c'est tout ! Et puis, notre différence d'âge est trop importante ; je n'ai que trente cinq ans et toi beaucoup trop pour moi."
Un temps de silence entrecoupa la communication. Il parla à son tour :
" Je ne voulais pas te perturber avec mes lettres ; j'ai l'habitude d'écrire à celles qui me plaisent follement, comme c'était ton cas, et cela par conviction avec mes idéaux. Je me suis encore laissé emporter par ma propension à aimer un être qui ne me porte guère de sentiment. Tu n'es pas la première ; mais je sais, aujourd'hui, que tu seras la dernière. Je ne me risquerai plus à convoiter ces jeunes femmes, pleines de beauté, emplies de grace et dont les charmes me firent trop souvent perdre la tête. Je te remercie d'avoir ranimé en moi cette ferveur pour la féminité, de laquelle je crus ne plus jamais recouvrer le goût. Je ne t'aimerai plus ! Je ne te verrai plus jamais et lorsque quelqu'un d'inconnu prononcera ton prénom, je ne me retournerai pas pour ne pas voir si c'est Toi qui es là, à attendre que l'Amour te saisisse...
Adieu."
Elle était toute jeune, animée d'une volonté de vaincre l'existence et de lui imposer sa destiné !
Lui, il avait énormément vieilli. Après avoir vécu plusieurs vies, il s'était définitivement résigné à vivre seul, parmi les autres...
Avant de partir, sachant qu'il ne reviendrait plus jamais chez elle, il déposa en évidence, sur la table, ces quelques vers qui devaient constituer une long poème sur eux :
"J'ai envie d'un baiser, d'une étreinte charnelle.
Que ton corps dévêtu, en flammes qui chancellent,
Embrase tout le mien : mon coeur et mon esprit
Ainsi livrés au tien dont je suis tant épris."
Jean Canal fin juillet 2011.