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La femme du Musée

Publié le par jean CANAL

RÉCIT D'UNE RENCONTRE
Dans le désert avec Jean Canal. Un tableau naturaliste de la France du Moyen-âge d'aujourd'hui

2° moitié du XII° siècle ; c'est la date qui est donnée pour situer dans un temps comptable ce buste en marbre blanc réutilisé par le sculpteur pour accomplir cette œuvre d'art (la valeur de cette pierre réemployée à partir d'une sculpture ancienne atteste du respect que le matériau inspire à l'artisan -l'artiste-, en une époque où le travail s'organisait autour des richesses du terroir). Derrière la tête, est encore perceptible une feuille d'acanthe ciselée qui, nonobstant la valeur intrinsèque qu'elle représente, dénature un tantinet le sujet, enclin à en accepter les règles de mise en forme pour un portrait élaboré d'après des principes religieux en vigueur. Probablement que le coût de la réalisation de cette sculpture devenait moins onéreux, lorsque elle était effectuée sur une pièce de pierre déjà façonnée, laissant paraître une face vierge.

Les lois géométriques platoniciennes eussent-elles dicté la mise en œuvre de l'ouvrage, il n'en eût été plus apte à refléter une réalité rurale cachée.

L'endroit est donc indiqué par cet indice symbolique qui symbolise le lieu où je me trouve actuellement. Il est une histoire, ici, remontant jusqu'à Charlemagne, par l'alliance qui l'attache à un parent illustre venu s'installer en ce lieu où il trouva la paix intérieure, après avoir guerroyé durant suffisamment longtemps pour y accomplir une vie spirituelle, vers 804 de notre ère... Il suffit d'arpenter le village qui siège sur les hauteurs d'un cours d'eau se jetant, en contre-bas, dans la méditerranée régionale, pour saisir aussitôt l'intérêt du choix géographique dudit moine... Pourtant, après m'être entretenu avec la responsable du Musée où trône la tête sculptée, isolément des autres pièces présentées, j'appris que cette femme était sans identité. Et que l'endroit de sa découverte n'attestait pas forcément de son appartenance géographique. A mon regret, je ne saurai jamais qui elle fut... Alors je vais en faire mienne, au détriment des préposés aux monuments historiques excipés en cette salle où se réunissaient les moines bénédictins, il y a déjà plus de mille deux cents ans quand la France rayonnait de toute sa chrétienté ! Une légende née d'elle-même, comme tout récit fait à l'égard d'un héros, ayant réellement existé, lequel se distingua non pas par sa bravoure auprès de Charlemagne, mais par l'extraordinaire vie qu'il mena à titre de bénédictin, en ce lieu demeuré toujours pieux. Ci-dessous, extrait du texte du Charroi, lequel évoque la vie de l'illustre moine soldat, Guillaume Fierebrace quand il trancha la tête d'Isoré :

Vet s'en Guillelmes ? sa conpaigne bêle.

A Deu comande France et [Ais] la Chapele,

Paris et Chartres et tote l'altre terre.

Elle n'est pas d'une grande beauté, cette jeune femme empierrée dans le silence, comme les peintures latines où les couleurs ajoutent aux femmes ainsi dépeintes. Une sensible autorité émane de son visage semblant poser sans timidité aucune avec, toutefois, une résignation à vouloir être reproduite obstinément, dans sa réalité existante, sans aucune fioriture pour l'embellir si ce ne sont les cheveux disposés en diadème orné d'un bijou, aujourd'hui disparu. La beauté singulière ici marque la féminité restée puissante dans ses désirs...indéfiniment inassouvis... L'absence de la pierre précieuse sur sa coiffe, disposée au centre du front, comme la représentation du troisième œil indien, trouve sa signification dans l'héritage oriental rapporté par les récits anciens, transmis en ce temps-ci de bouche à oreille, de récit en récit, édulcorant les légendes épiques qui se greffèrent à l'irréel. Les écrivains en feront par la suite des histoires lus à la lueur des lampes, éclairant auprès du feu de bois. Une telle personne aujourd'hui n'attirerait personne ; seuls des curieux malveillants y trouveraient un regard inquisiteur, moqueurs primaire fraîchement émoulus de la bêtise populaire, décrivant ses défauts, recherchant intentionnellement des traits disgracieux, accentuant une négligence vestimentaire, allant même jusqu'à lui reprocher une laideur cachée qui en fait est le fruit de sa beauté authentique. On ne peut même pas imaginer le ton de sa voix, ni son accent, mesurant par son langage la richesse du vocabulaire employé et déduire le niveau de culture acquis, au demeurant deviner son caractère, non pas ceux de La bruyère, mais plutôt ceux pertinemment décrit par Théophraste, lesquels, ici, ne manquent pas de faire sourire lorsque se manifestent crûment des autochtones à l'identité intéressée par des circonstance...opportunes !

Aucune archive pour nous éclairer, si ce n'est des interprétations de chercheurs en la matière qui déduisirent de son état un historique circonstancié. Appartenait-elle à la haute bourgeoisie ou l'aristocratie ? Seuls les gens fortunés pouvaient prétendre à figurer de cette manière dans la représentation artistique de leur personne. Les artistes étaient sollicités pour accomplir des chefs d’œuvre. Et les fondements du savoir et de la connaissance reposaient entre les mains de Compagnons qui ne transmettaient leur savoir-faire professionnel que sous des conditions précises, respectant scrupuleusement des règles de morale spirituelle, de stricte application conforme à des codes de déontologie incluant des normes établies sur l'architecture antique. Un lien étroit entre la matière et l'humain était, effectivement, proche de celui de certaines peuplades qui communient avec les arbres avant de les couper. Évidemment, nous ne pouvons que constater que cette pratique est tombée en désuétude de nos jours pour des raisons de nécessités conjoncturelles ! Les vicissitudes de l'existence, en effet, répondent à des impondérables auxquels déroger, présente des risques économiques pour la pérennité de l'artisanat ! La pratique de ce dernier métier en a définitivement perdu le sens artistique au premier degré, au profit d'un esthétisme contemporain en écho aux prérogatives des marchés empreints de puérilité, repoussant ainsi les limites qui ont éloigné l'être de la matière. Bref !

Ici, c'est une femme, jeune, témoignant de l'histoire du passé, qui m'interpelle et convoque en moi une attention toute pertinente pour des raisons entièrement personnelles, s'entend ! Son visage pose innocemment pour la postérité d'un site dont l'exception naturelle valorise encore l'édifice religieux qui lui tient de Réfectoire monastique. Ainsi, son visage quelque peu oblong, les traits détendus, laissant présager d'un contentement que ses lèvres ébauchent timidement, nous livre une autre réalité complètement disparue de nos jours, lorsque l'on découvre, avec stupéfaction, que l'ordre religieux qui régnait avec sérénité, depuis des siècles, a été spolié de la spiritualité dominante pour une économie de marché impitoyable !

Les "marchands du temple" occupent les lieux complètement désacralisés, entièrement vidés de leur substance spirituelle, au pis culturelle, au nom du profit artificiel de marchandises importées et fabriquées en série à très bon marché, à raison ubuesque d'être revendues à des prix triplant souventefois celui de l'achat initial (le pire, ô blasphème ! reste leur provenance...) ! Nous sommes proche de la spéculation pratiquée en la cité de Carcassonne où pas un article vendu par ces mêmes marchands, ne reflète la culture artisanale locale, confinée en les marché de plein vent. Et pour ne point polémiquer sur des lieux cultuels encensés par un attrait mystique, nous oublierons respectueusement Lourdes ! Il faut se tenir à l'écart de ce mercantilisme et notamment de tous ces gens qui le pratiquent avec des intentions fallacieuses, éconduites dans un esprit dénué de moralité intellectuelle (au premier sens du terme), pour le simple profit du gain ! Sans aucune honorabilité profonde, les marchands du temple spéculent sur leur propre devenir, sans évaluer les conséquences avenir de leur pratique, répercutant ce mal sur des générations acculées aux crises pérennes dues à ce déséquilibre général. Ce corporatisme marchand est doté d'une force de conviction qui élimine tout développement artisanal, lequel se replie en des formes industrielles avérés par le profane qui, inconsciemment, cautionne son développement ! Le résultat de l'économie de marché, solde la valeur intrinsèque de l'article, de l'objet et de l'être, vendus de telle sorte à en dévalorisant sa spécificité. Et ceux qui tentent de résister à cette pratique, s'appauvrissent matériellement certes, mais peuvent être fiers de manufacturer un produit respectueux de la hiérarchie professionnelle d'usage dont les fondements puisent leur ressource au cœur même de la vérité. Ils s'élèvent de ce fait, vers une autre lumière où la luminosité rayonne en permanence sur l'humanité toute entière.

Un minois donc dénué de sensualité, certes, mais significatif d'une période du moyen-âge révolue dans l'esprit inanimé des visiteurs en partie aspirés par la longue marche vers l'absolue vérité toujours introuvable. Quête éternelle via Les hospitia destinés aux pieux pèlerins qui autrefois firent halte aux sanctuaires échelonnés sur la via Aegidiana ou tolosona, voie sacrée du parcours de rédemption que s'infligent les pèlerins en poussant la marche jusqu'à Saint-Jacques, depuis le XII° siècle, en l'occurrence. De ce lieu devenant au fur et à mesure de la prospection légendaire, un culte, l'homme retraça indolemment sans relâche un parcours intacte des via romana tracées par des milliers d'esclaves romains, suivant ainsi des pas effacés par le temps qui seul rythme la cadence pédestre des traces de ceux qui précédèrent cette histoire magnifiée, dans la recherche de l'origine de l'humanité : "pax tecum sit."

A lui seul ce buste incarne toute la vie du haut moyen-âge qui se dessine, en ce lieu demeuré, malgré les guerres de religions qui en détruisirent une majeure partie, spirituel, au-delà de la spéculation culturelle qui en est faite par des individus avides d'en exploiter les fonds historiques ! Ici, le désert est occupé en permanence par ceux qui désertent les villes pour recouvrer une nature protégée de la main destructrice de l'homme âpre au pouvoir séculier. La réalité doit faire place à un effort d'imagination pour se retrouver en une période historique circonscrite dans la conquête de l'âme au seul profit de soi-même et de ces prochains qui en auront hérité la paternité. Le spirituel repose en ce buste ciselé dans le marbre, incarnant la paix dans un monde ayant suffisamment baigné dans la sérénité éternelle, aujourd'hui à jamais perdue ! Désormais, Elle est mienne par son consentement tacite renouvelé au-delà de la mort physique !

Si l'on considère les lois humaines comme prévalant dans le jugement intellectuel porté à l'encontre d'un tiers et qui pis est d'un système civil imputé aux sociétés modernes, il faut en déduire prudemment que la raison découlant du rationnel prédomine sur la foi du spirituel où le religieux peut encore trouver place en se référant strictement aux textes sacrés, issus de l'ancien et nouveau testaments. Le monde meilleur espéré par une attitude de pied de grue incessant devant le parvis des temples sacralisés pour des occurrences, est désormais incarné plutôt par une espèce de culture de l'hédonisme, sous toutes ses formes, frappant violemment aussi celui de l'esprit...

Jean canal. 10/11/12 mai 2019.

 

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