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Critique de l'Art critique

Publié le par Jcpress

 Avec Élie Faure (1), la peinture se décompose en fragments picturaux créant des actes intimistes d'une œuvre perpétuellement inachevée. Se perçoivent alors des scènes, les unes romanesques en des gestuelles invoquant la grâce divine, tandis que d'autres, idéalisant le sujet de cette œuvre, dépeignent une époque, en révèlent le thème et nous racontent une histoire à laquelle nous prenons part, en s'immisçant dans l'intimité de son auteur. Le tableau présente alors un instant fugitif, cependant figé sur la toile pour l'éternité ; moment furtif qu'il faut saisir pour en comprendre le sens profond que l'artiste y a insinué. Entre des lacis colorés d'ombres et de lumières à peine contrastées et qui laissent deviner la véritable intention de son auteur, l’œuvre toujours imparfaite dissimule toutefois ses véritables inspirations, comme la littérature classique qui s'évertue à transcrire l'esprit de la Lettre, ainsi que Balzac et plus tard Proust (et tant d'autres, inclassables, de cette nature intellectuelle, lesquels ont ajouté à la littérature), épuisés à dépeindre avec concision les actes banals de la vie courante.

La peinture est semblable sur certains de ces points à des scènes rencontrées dans la vie anodine de l'histoire contemporaine, tout en ayant le sentiment du peintre d'être impuissant à exprimer un tout éternellement insaisissable ! La part de l'imagination dans la construction d'une œuvre demeure la seule réalité de celui qui la compose : son existence y apparaît, quelquefois à son insu et souvent contre son gré, ses traits caractériels révèlent sa personnalité et nous apprennent beaucoup sur l'artiste (Van Gogh en est sans doute une des plus significatives études sociologiques), selon la thèse soutenue par Hippolyte Taine (2) qui exige que l'on prît en compte cette part intrinsèque de la vie intime de l'être ! «Car, parmi les œuvres humaines, l'œuvre d'art semble la plus fortuite; on est tenté de croire qu'elle naît à l'aventure, sans règle ni raison, livrée à l'accident, à l'imprévu, à l'arbitraire effectivement, quand l'artiste crée, c'est d'après sa fantaisie qui est personnelle; quand le public approuve, c'est d'après son goût qui est passager; inventions de l'artiste et sympathies du public, tout cela est spontané, libre et, en apparence, aussi capricieux que le vent qui souffle. Néanmoins, comme le vent qui souffle, tout cela a des conditions précises et des lois fixes il serait utile de les démêler.» (2).

Les couleurs se reflètent sur la toile, comme l'eau de la Durance reproduit le dessin de la nature qui s'y plonge indéfiniment ; elles sont restituées à l'authentique, tandis que les paysages dégagent leur perspective au-delà du regard profane, naïvement émerveillé par l'intensité rayonnante des éléments qui dessinent l’œuvre, lui donnant forme, comme c'est effectivement le cas avec les tableaux réalisant incommensurablement la Sainte-Victoire. Un tableau n'est plus une peinture à valeur ajoutée par sa spéculation, quelle soit marchande ou bien intellectuelle, mais de la littérature épurée, un récit historique, quelque peu imprégné de l'imagination qui lui donne une ineffable authenticité. La métaphysique empreinte de nature (celles d'Ovide, de Virgile) personnifie chaque tableau en décorant les paysages augmentés de touches sublimées par des détails, constamment en relation avec une harmonieuse composition due à la nature qui existe entre l'imaginaire et le réel, révélant son indicible beauté !

«Quand on a cette force en soi, on peut s'en aller tout seul.» (1). Sortie de son contexte historique, en effet, cette phrase pourrait interpeller par le pronom impersonnel qui est intentionnellement employé pour ne pas directement désigner celui à qui elle s'adresse, mais laisser en deviner son destinataire sous forme d'éloge ; le sens en est profond et la forme en recouvre la vérité évidente. Plotin n'est pas loin de cette définition. C'est Élie Faure qui conclut donc sa «Genèse contemporaine», par une synthèse dont l'étude exhaustive de l'art qui en ressort consacre son auteur au Panthéon des critiques d'exception, en la matière ! Paul Cézanne est en quelque sorte cette conclusion à l'art du XIX°-XX° siècles, symbolisant la peinture moderne. Une espèce de figure de style, une longue métaphore, comme l'est la peinture d'un point de vue général et en particulier, ici, les «Baigneuses» qui traduisent à elles seules cette force incommensurable de l'esprit dans l'expression romantique réalisée à partir d'une vision allégorique, au demeurant contemplative sous des accents extatiques ! Oserions-nous évoquer «la naissance du printemps» de Botichelli comme inspiration inconsciente aux «Baigneuses»? Nul ne le saura jamais ! Et si d'aucuns s'évertuent à en extraire une quelconque vérité quelque peu hypothétique, d'autres se laisseront emporter par l'imagination qu'ils retireront de la beauté ! Là, réside une révélation pour l'artiste, élevée jusqu'à l'émotion qu'il se découvre étonnement encore intacte.

Dans sa circonspecte analyse inscrite dans celle de Kandinsky (4) sur l'art et la spiritualité qui en émane incontestablement, la créativité répond néanmoins aux exigences de l'esthétisme. Élie Faure en recherche sa présence partout où son incisif regard scrute en sa vaste étendue la toile ainsi dépeinte et presque décomposée afin d'en reconstituer le tout à partir des morceaux retirés un à un que le maître parcourt sur leur entière surface épandue dans l'infini ! Il révèle avec éloquance la spécificité du talent, celui de Paul Cézanne comme il le fit pour Vélasquez, étudié en amont de son travail, et la vertu de l'excellence qui érigent l’œuvre au niveau de la beauté : celle de Plotin s'entend, sans aucun doute par ce phénomène d'inconscience, comme nous l'avons souligné, lequel dans les Ennéades en démontre la force intellectuelle à travers la culture de l'art ! C'est donc l'intelligence recherchée par Taigne (essai de l'académicien) qui apparaît nûment dans toute «l’œuvre» du grand ami d’Émile Zola (5). Dès les balbutiements des couleurs qui forment «l'ébauche lente à venir» (3) définissant un tableau  sous les lumières de ses contrastes, le génie impose la perfection par des traits distinguant les scènes picturales succintes au sein de la même œuvre ! La postérité attestant de la preuve irréfutable de la réalisation singulière, elle érige dans les siècles, l'entière notoriété de son auteur consacré aux rangs des grands peintres. Baudelaire assigna à l'artiste inconnu alors sa destinée en lui composant ces vers qui, dédié à ses semblables, illustrent cette force dont parle Élie Faure, au cours de son «essai» de l'historien de l'Art :

« Qui plane dans la vie et comprend sans effort le langage des fleurs et des choses muettes.» (3).

D'ailleurs, en préambule à l'étude d’Élie Faure, l'allusion à l'auteur des Fleurs du mal ajoute à la force de Cézanne par cette «Élévation» vouée à toute son œuvre, située loin au-dessus de l'art de son siècle. Décrié en son temps, moqué puis humilié Cézanne demeure toujours contemporain.

Ce qui tient le profane à l'écart de la vérité du monde, fut tout simplement son penchant pour tout ce qui tente de représenter une interprétation des choses relatives à l'art pictural, en l'occurrence, à travers les quatre éléments sans tenir compte de la spiritualité qui émane de ces matières évanescentes, puisque tout est appelé à disparaître, les œuvres d'art également ! En contradiction avec l’œuvre de l'artiste impersonnel, la société tente de sauvegarder l'éphémère représentation picturale d'une vision informelle qui reproduirait le talent, en vain bien sûr ; parce que le temps se charge de classer de façon anachronique tout ce que l'être crée, pour le meilleur et pour le pire ! Le génie humain nous a maintes fois démontré sa capacité de destruction en signe de grandeur ! L'art est identique à cette puissance de l'esprit qui permit aux artistes de préfigurer le présent contemporain en l'esquissant sur fond de matières puisées dans les quatre éléments, indispensables à la création artistique.

L'artiste est alors dépossédé de son travail qui tombe dans le patrimoine national de ceux qui affirment se reconnaître en lui, se l'attribuant et lui dérobant le titre jusqu'à en fournir une explication exégète, s'éloignant inéluctablement des origines qui donnèrent naissance au génie !

  1. « Histoire de l'Art. »

  2. « Philosophie de l'Art .»

  3. « Les Fleurs du mal. »

  4. « De la spiritualité dans l'Art . »

  5. « Roman d’Émile Zola dédié à Cézanne .»

Jean Canal. Fragment d'étude sur l'art partiel des artistes. A lire : «Sans Titre.» Un essai sur l'Art. Jean Canal Édition TheBookEdition.

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